L'incertitude des marchés s'accroît avec la montée des tensions géopolitiques
L'introduction par les États-Unis de droits de douane sur les échanges commerciaux a injecté une nouvelle vague de volatilité sur les marchés. Les incertitudes liées aux taux d'intérêt et à la situation géopolitique augmentent, tandis que l'Europe accroît ses dépenses de défense. Dans ce contexte, il convient de réduire l'allocation aux actifs plus onéreux tout en augmentant l'exposition aux titres à revenu fixe, en particulier à duration courte, explique Chris Iggo, AXA IM CIO, Core Investments.
Les performances du marché ont été remises en question au cours des dernières semaines. La toile de fond macroéconomique plus favorable que les investisseurs envisageaient à l'approche de 2025 a sans doute volé en éclats. Les défis lancés par l'administration américaine à l'ordre commercial et sécuritaire mondial sont susceptibles de perturber le commerce, les flux de capitaux, la consommation, les dépenses d'investissement et la politique gouvernementale.
À l'aube de la nouvelle année, il était généralement admis que l'économie mondiale continuerait à se développer, principalement grâce à la forte croissance des États-Unis, mais aussi à une certaine amélioration en Europe et en Chine. De même, on s'attendait à ce que l'inflation se maintienne légèrement au-dessus des objectifs de la banque centrale et qu'elle diminue généralement, les décideurs politiques maintenant les taux d'intérêt à des niveaux proches de la neutralité. En outre, les inquiétudes des investisseurs obligataires concernant les niveaux d'endettement des États devraient imposer aux gouvernements une certaine discipline en matière de politique budgétaire, ce qui limiterait la nécessité d'une hausse décisive des taux d'intérêt à long terme. Sur les marchés des actions, les bénéfices soutiendraient les marchés boursiers et la stabilité du crédit, et les taux d'intérêt soutiendraient les revenus des investisseurs.
Incertitude croissante
Cependant, nous ne pouvons plus nous fier à ces hypothèses, compte tenu de l'incertitude créée par l'évolution rapide des événements géopolitiques. Les investisseurs sont désormais confrontés à l'ambiguïté de la croissance économique, de l'inflation, des taux d'intérêt et des coûts d'emprunt à long terme, sans parler du risque politique.
Les hypothèses relatives aux revenus, à la rentabilité et aux flux de trésorerie des entreprises ont été fortement ébranlées. Tout bien considéré, cela devrait se traduire par des primes de risque plus élevées sur les actifs des entreprises, celles-ci étant confrontées à des conditions de marché potentiellement difficiles. Les droits de douane constituent une menace évidente pour les revenus ; l'incertitude des consommateurs en est une autre. Les médias ont également fait état d'une baisse des activités potentielles de fusion et d'acquisition. Les données économiques récentes ont été moins convaincantes et risquent de mettre en évidence l'incertitude persistante des consommateurs et des entreprises dans les mois à venir.
Tout cela pourrait se traduire par une baisse des multiples prix/bénéfices des actions et un élargissement des écarts de crédit sur les obligations d'entreprise. C'est le marché américain qui est le plus menacé, car ces paramètres d'évaluation y ont été plus extrêmes que sur d'autres marchés.
Ce qui change la donne pour les marchés à revenu fixe et les perspectives de taux d'intérêt, c'est la nécessité pour les pays européens d'augmenter leurs dépenses de défense à la suite des menaces des États-Unis de retirer une partie de leurs dépenses de sécurité à l'étranger, y compris un retrait réel ou de facto des États-Unis de l'OTAN. L'Ukraine est au centre de l'attention et les dirigeants européens se sont engagés à défendre l'Ukraine contre toute nouvelle agression russe si les États-Unis ne continuent pas à offrir des garanties de sécurité.
Mesures de sécurité
Mais même avec un accord avec les États-Unis, l'Europe ne peut plus considérer comme acquis le soutien inconditionnel des États-Unis en matière de sécurité. Par conséquent, les promesses d'augmentation des dépenses de défense en pourcentage du PIB se traduiront nécessairement par des augmentations plus permanentes. Cela s'est déjà traduit par une hausse des rendements obligataires européens en prévision d'une augmentation des dépenses et des emprunts. Les rendements des obligations d'État allemandes ont augmenté de 30 points de base en une seule journée, le 5 mars, à la suite de l'annonce par le gouvernement allemand qu'il chercherait à augmenter massivement les dépenses de défense et d'infrastructure. L'augmentation des emprunts et des dépenses publiques suggère une hausse des taux d'intérêt réels à long terme et une augmentation structurelle du taux d'intérêt neutre.
D'une manière générale, nous pensons que le prix des titres à revenu fixe va se modifier très rapidement - un taux neutre structurel plus élevé se traduira par des courbes de rendement plus raides et une prime de terme plus élevée. Une fois cet ajustement effectué, les obligations deviendront attrayantes pour les investisseurs en raison des rendements plus élevés et du potentiel de revenus. Lorsque l'Allemagne a subi le choc fiscal de la réunification au début des années 1990, les rendements obligataires ont fortement augmenté en 1990 et sont restés à un niveau élevé pendant les trois années suivantes. Les investisseurs pourraient devoir se préparer à un résultat similaire, l'Allemagne se retrouvant à nouveau au centre d'un vaste réalignement des perspectives politiques européennes.
Du côté des actions, la tendance à la surperformance de l'Europe que nous avons observée jusqu'à présent en 2025 devrait se poursuivre. Les États-Unis pourraient être en mesure d'accorder des réductions d'impôts, mais la croissance du PIB américain est assez proche de son taux de croissance moyen sur 10 ans depuis un certain temps et il y a peu de capacités inutilisées dans la plus grande économie du monde.
Un coup de pouce fiscal ne permettrait pas un assouplissement monétaire significatif. Entre-temps, les États-Unis risquent d'être davantage perturbés par les tarifs douaniers et l'incertitude de la politique intérieure. L'Europe bénéficiera de l'augmentation des dépenses publiques et les taux devraient rester plus bas qu'aux États-Unis. Les valorisations des actions européennes ont un plus grand potentiel de hausse que celles des actions américaines.
L'environnement évolue rapidement et est très imprévisible. Toutefois, il est clair qu'un changement géopolitique important s'est produit, ce qui devrait soutenir la croissance en Europe (à condition que l'Europe ne doive pas entrer en guerre). Si l'Europe parvient à conclure un accord de paix acceptable en Ukraine, la confiance des entreprises européennes devrait également s'en trouver renforcée.
Tactiques d'allocation potentielles
Le niveau élevé d'incertitude suggère de réduire l'exposition aux actifs onéreux - principalement les actions de croissance américaines et le crédit américain. L'incertitude sur les politiques est également synonyme d'incertitude sur les revenus, les bénéfices et les flux de trésorerie des entreprises. La plus forte augmentation des dépenses provient des gouvernements européens, ce qui devrait profiter aux entreprises des secteurs de la défense, des transports, de la technologie, de l'électronique et de l'énergie.
Toutefois, les taux pourraient être volatils, car les marchés digèrent l'impact de l'augmentation des emprunts d'État en Europe. Une hausse des taux d'intérêt mondiaux à long terme - reflétant un taux neutre plus élevé - devrait entraîner une réévaluation du prix des titres à revenu fixe. Nous observons déjà une hausse des rendements des obligations européennes. À court terme, les investisseurs peuvent envisager d'opter pour des actifs à revenu fixe de courte durée moins volatils, en particulier dans leur propre devise.
D'un point de vue fondamental, les actions européennes semblent être une zone potentiellement positive à laquelle s'exposer, avec des opportunités dans les entreprises qui bénéficieront de l'augmentation des dépenses en matière de défense, de sécurité et d'infrastructure. Et si la croissance américaine semble s'essouffler, les titres à revenu fixe américains à plus long terme semblent potentiellement plus robustes. En règle générale, les marchés obligataires intégreront rapidement la nouvelle réalité, tandis que les perturbations des revenus, des bénéfices et des flux de trésorerie des actions pourraient durer plus longtemps. Pour l'instant, la prudence est de mise.
Dominique Frantzen
Jennifer Luca
Serge Vanbockryck
Arnaud Verwacht